Achéron se souviendrait toujours de sa mère, une femme aux longs cheveux bruns, et au visage flou. Son parfum était délicat, fleuri, un parfum qui le rassurait toujours. Chaque soir elle se penchait sur lui pour lui raconter une histoire, leur histoire. « Il était une fois un roi qui avait onze fils et une unique fille : Elisa. Ils étaient heureux, jusqu'au jour où le roi se remaria avec une méchante femme qui se débarrassa d'Elisa en l'envoyant chez des paysans et transforma les fils en des cygnes sauvages. Elle tenta ensuite d'empoisonner la jeune fille, mais il s'avéra que celle-ci était bien trop pure et que la magie noire n'avait aucun effet sur elle. La Reine la transforma en souillon et son propre père ne la reconnu pas. Aussi fut-elle chassée du château. Elisa se réfugia dans la forêt avoisinante et la nuit durant, rêva de ses frères. Le lendemain, elle croisa une vieille femme à qui elle demandait si elle avait vu ses frères mais celle-ci lui répondit qu'elle avait vu seulement onze cygnes couronnés d'or. Elle alla à l'endroit où la vieille femme avait dit avoir vu les cygnes mais elle ne trouva que des plumes. Elisa attendit alors le coucher du soleil et elle vit onze cygnes arriver. Ils retrouvèrent leurs aspects dès que le soleil disparut à l'horizon et lui racontèrent qu'ils vivaient si loin, sur un rocher dans la mer qu'ils ne seraient de retour que dans une année. Ils réussirent tout de même à emmener leur sœur avec eux en tissant un filet dans laquelle ils la transportèrent et s'envolèrent avec elle.
Lorsqu'ils atteignirent le rocher, ils demandèrent à leur sœur de dormir et de rêver. Dans son rêve, la vieille femme de la forêt lui apparut, c'était en fait une fée. Elle dit à Elisa que ses frères pouvaient être sauvés si elle tressait à chacun d'entre eux un manteau d'ortie à condition de ne prononcer un mot.
Elisa se mit au travail dès le lendemain et alla cueillir les orties, ignorant la douleur que cela lui causait, elle souffrit en silence, tout occupée à sa besogne. Elle ne répondit même pas lorsqu'un seigneur qui venait chasser lui adressa la parole. Devant sa beauté, et malgré son silence, ce seigneur l'enleva pour en faire sa femme. Tout le monde murmurait que c'était une sorcière, car après tout, elle sortait des bois, mais le seigneur ignora ces rumeurs. Il fit même installer dans une pièce les ballots d'orties et les manteaux tissés.
Mais un jour Elisa vint à manquer d'orties et alla au cimetière pour en chercher. L'un des proches du seigneur la vit et rapporta à son maître que c'était véritablement une sorcière. Le seigneur, qui aimait sa femme la fit alors surveiller et la suivit un soir où elle allait encore chercher des orties. Il aperçut alors un groupe de sorcière et pensa qu'Elisa allait les rejoindre. Le peuple choisit de livrer la jeune femme aux flammes. Dans son cachot, on dit que les souris continuèrent à lui apportèrent tout ce qu'il lui était nécessaire pour tisser les manteaux. Elle ne pouvait guère se défendre puisqu'elle n'avait pas le droit de prononcer un seul mot. Alors que la charrette la menait vers le bûcher, onze cygnes s'abattirent sur celle-ci. La foule, y voyant un signe du ciel et de son innocence prit la fuite. Elisa, qui avait gardé les manteaux d'orties, dont elle avait tout juste fini le onzième les jeta sur ses frères qui aussitôt se transformèrent en princes.
Elisa put dès lors tout expliqua, et évidemment, elle vécut heureuse jusqu'à la fin de ses jours et eu beaucoup d'enfants, qui eurent beaucoup d'enfants, et cela continua. » fit sa mère en lui caressant les cheveux. Achéron connaissait cette histoire par cœur, néanmoins, comme à son habitude, il ne put s'empêcher de demander « Mais, que sont devenus le Roi et les onze princes ? » Sa mère sourit alors et continua «  Le Royaume du Père d'Elisa était un tout petit royaume. L'un des descendants abdiqua et obtint en échange de garder ses terres, et le royaume devint un duché. Ce duché, comme celui d'Elisa se trouvent près de Peacewood Forest, dans le Royaume de Bramblesland. D'où je viens puisque je descend de l'aîné des frères d'Elisa. » Et sa mère se pencha vers lui pour déposer un baiser son son front.

« Tu es mon fils, oui ou non ? » hurla son père en lui assénant un coup d'épée qu'il ne put dévier. Sa propre épée vola dans les airs et atterrit dans la poussière un peu plus loin. « Tu es bien trop faible garçon ! » continua t-il tandis qu'Achéron se recroquevillait. « Pas étonnant » grommela son père en rengainant son épée et en s'approchant. Il prit son fils par l'épaule avant de se pencher sur lui « Je vais te raconter une histoire fils. Que tu n'oublieras pas. » Le garçon croisa le regard de son père, qui débuta « Il était une fois dans un ancien royaume, une reine qui se désolait de ne pas avoir d'enfant. Un jour d'hiver alors qu'elle était assise près d'une fenêtre au cadre d'ébène elle se piqua le doigt en cousant et quelques gouttes de sang tombèrent sur la neige. La Reine se dit alors qu'elle donnerait tout pour avoir un enfant au teint aussi blanc que la neige, aux lèvres aussi rouge que le sang, aux cheveux noirs comme l'ébène. Son souhait fut exaucé et elle se retrouva enceinte. Elle mit au monde une petite fille qui correspondait en tout point à son souhait mais mourut peu de temps après. Le Roi prit une nouvelle épouse, une femme très belle et très org... Très belle. Elle possédait un miroir magique qui lui répétait qu'elle était la plus belle du royaume jusqu'au jour où Blanche-Neige, tel était le prénom de l'enfant, devenue une jeune femme, détrôna sa belle-mère et fut  considérée comme la plus belle femme par le miroir. Jalouse, celle-ci demanda alors à un chasseur de tuer la jeune femme. L'homme la conduisit dans les bois, avec l'intention de la tuer, mais au dernier moment, il fut pris de pitié par la jeune femme, si belle, si innocente, qui ne méritait pas le cruel destin auquel sa belle-mère la destinait.
La Reine fut furieuse de l'échec du Chasseur, alors elle le tua pour le punir de sa faiblesse. Ce Chasseur avait une famille, des fils, qui eurent des fils, et nous descendons de ses fils. C'est pourquoi nous ne devons plus échouer. Plus jamais. Ne plus être faible. » Alors son père se releva et alla ramasser son épée, qu'il tendit à son fils. L'échec n'était pas toléré. Une fois dans leur lignée avait suffit. La Reine avait pardonné aux fils du Chasseur à condition que ceux-ci la servent mieux encore que leur père, et c'est ce que les fils du Chasseur s'efforcèrent de faire en devenant des loyaux serviteurs, des mercenaires, des chevaliers. Et depuis, personne n'avait jamais failli. Achéron n'avait pas le droit à l'erreur.


Achéron était rentré au service de la Reine Elvira à l'âge de dix ans, en tant qu'écuyer. Il cotôyait la Reine, et toutes les personnes qui la servaient. Son père souhaitait qu'il devienne un chevalier, comme lui-même, un chevalier tout entier dévoué à sa Reine. Et lors de son apprentissage, c'est ce qu'Achéron tenta de faire, il tenta de faire honneur à son père, et à la lignée à laquelle il appartenait.
Ce fut un jour de décembre qu'il apprit la mort de sa mère au cours de son apprentissage, d'une simple lettre écrite par son père. Celle-ci était morte après avoir mis au monde un second enfant. Achéron avait toujours pensé qu'il serait fils unique, les médecins ayant prédit à sa mère que jamais elle n'aurait d'autres enfants après lui, que cela serait trop dangereux pour sa sécurité. Mais une sœur arriva, et sa mère le quitta. Son père vint le rejoindre à la Cour et se mit de nouveau au service de sa Reine, oubliant cet enfant qui demeurait dans leur domaine, à la lisière de Northcrown. Trop loin d'eux et de Glass City. Achéron profita de quelques jours de répits pour s'y rendre et enfin rencontrer cet être qu'il ne connaissait pas. Jamais il n'aurait cru possible de s'attacher autant à quelqu'un, on lui avait toujours dit que l'amour était dangereux, surtout à Apple-Kingdom. Mais sa sœur représentait une partie de son monde. Il aurait voulu consacrer plus de temps à elle, son éducation, mais son devoir l'appelait aussi ne la connut-il presque pas.
Lorsqu'il eut dix-huit ans il fut fait chevalier par la Reine Elvira en personne, un moment qu'il n'oubliera jamais, ni même les paroles qu'il prononça car par un serment sacré il promit de servir sa Reine, peu importait le prix et jusqu'à sa mort.
Il fut ensuite invité à voyager à travers Enarya afin de se former aux différentes mœurs, royaumes, et peuples. Il découvrit Northcrown, qu'il avait déjà brièvement visité lorsqu'il était enfant, un pays de glace qu'il n'appréciait pas mais duquel il ramena des fourrures d'une excellente qualité. Il revit sa sœur, une enfant qui grandissait, trop turbulente et caractérielle, mais comment lui en vouloir ? Elle était élevée par des domestiques, n'avait jamais connu ni son père, ni sa mère. Le premier ayant fui à la Cour et la seconde étant morte. Il ne lui fit aucune promesse, il savait de toute façon qu'il ne pouvait se permettre de revenir la voir. Il découvrit le Val de Joly, la plus magnifique de toutes les régions mais également la terre de sa mère, Bramblesland. Il continua par Umm Ash-shams où il fut proprement dépaysé, ce royaume produisit sur lui une énorme impression. Et il acheva sa visite par Sailorland où à sa plus grande honte il fut pris en embuscade par des voleurs. Il rentra à Glass City sans rien, ayant perdu son cheval et son épée. La simple évocation du nom de Sailorland produit sur lui une impression très néfaste, ce n'est qu'un repère de voleurs selon lui. Il espère ne plus y remettre les pieds.
Il dût patienter encore quelques années pour recevoir son premier poste et fut envoyé à Ravenswood la capitale de Bramblesland. La Reine pensait que vu ses origines, il y serait sans doute un peu mieux vu qu'un autre. Ce fut le cas. Il fut accepté, même si évidemment on lui jetait toujours des regards méfiants. Achéron rapportait à la Reine les événements qui se passaient, importants comme insignifiants car tous pouvaient lui être utile.
Un jour il quitta Ravenswood pour revenir à Glass City, appelé par la Reine. Les relations entre les royaumes étaient suffisamment satisfaisantes. Achéron fut dès lors envoyé à Umm Ash-Shams. Dans un nid de serpents, tant les tensions entre les royaumes étaient fortes. Achéron dut faire preuve de beaucoup de prudence et beaucoup de ruse pour réussir à se faire une petite place à Agrabah.
C'est là, qu'un jour, il la rencontra.

Son nom était Ellaria. Ce fut par sa beauté qu'il fut frappé lorsqu'il la vit pour la première fois, alors qu'elle avançait vers lui d'un pas décidé, il lui semblait que le monde entier lui appartenait, tournait autour d'elle. Elle ne le remarqua même pas, raison pour laquelle elle lui fonça dedans, le bousculant. Son regard sombre lança des éclairs tandis qu'elle exigeait d'Achéron qu'il s'excusa pour l'avoir bousculée. Il refusa de s'excuser. Il n'était ni galant, ni même poli. Et à vrai dire, il la trouvait plus ravissante encore lorsqu'elle semblait en colère. Bien mal lui en pris car elle s'en alla. Achéron ne désespéra pas de la revoir cependant, et en fouillant un peu, il apprit que c'était l'une des descendantes de Jafar. Il connaissait l'histoire de ce pays et la famille régnante même si cela lui importait peu qu'elle y fut liée. Tout ce qui lui importait, c'était elle.
Lorsqu'il la revit, il ne la quitta pas d'une semelle, suscitant encore son agacement. Elle devait le prendre pour quelqu'un de bien collant. Et pour la première fois de sa vie Achéron se trouva vraiment désorientée. Qu'est-ce que cette femme voulait donc ? Les flatteries ne marchaient même pas. Tout ce qu'il gagnait c'était un regard un poil méprisant lorsqu'il s'y essayait. Ellaria lui fit perdre la tête, dans tous les sens du terme, elle finit par le rendre totalement fou. Achéron savait qu'à Umm Ash-Shams les femmes étaient différentes des autres royaumes, mais jamais il n'aurait imaginé que ce fut à ce point
Il eut cependant raison d'elle au bout d'un an, où un jour elle lui demanda de l'épouser. Elle. Achéron accepta, bien que légèrement vexé. C'était à un homme de demander une femme en mariage et non pas le contraire. Mais l'important était que son but était atteint. Elle serait à lui. Du moins il le croyait. Lorsqu'il lui demanda pourquoi elle voulait l'épouser, elle lui répliqua que cela ne le regardait en rien, et lorsqu'elle lui demanda pour lui, avait voulu l'épouser, il ne répondit rien non plus. Il en voulait pas qu'elle le prenne pour quelqu'un de faible, il n'avait pas le droit d'être faible, pas le droit à l'erreur.
Ellaria devenait l'une des femmes les plus importantes de sa vie, plus qu'une épouse, une compagne, qui conservait cependant son indépendance ce qui n'était pas pour déplaire à Achéron qui voyait souvent entre plusieurs royaumes. Mais il savait pertinemment que malgré les promesses qu'ils avaient échangés, il en existait une, plus importante encore : celles qu'ils avaient faites à sa Reine.

Il allait être père et cela le terrifiait. L'année 1422 allait s'achever. Et Ellaria hurlait dans la chambre d'à côté. Achéron tournait en rond, attendant la délivrance. Il écoutait d'une oreille distraite les femmes qui allaient et venaient, disant qu'un premier accouchement pouvait prendre des jours entiers parfois. Cela faisait déjà quelques heures que le travail avait commencé et il n'en pouvait presque plus. Il lui sembla qu'il s'endormit un instant, sombrant dans un demi-sommeil parsemé des cris de sa femme et des murmures du passé de son père.
Ce fut le silence et les rayons matinaux du soleil qui le réveillèrent. Une servante vint le chercher, toute rouge d'excitation en lui disant que c'était bon, que son enfant était né. Chaque pas qui l'approchait de la chambre, d'elle, furent les plus longs de sa vie, les plus pesants. Il poussa la porte pour voir Ellaria en parfaite santé, aussi fraîche que la rosée du matin comme si elle avait fait une longue promenade. Cela ne l'étonnait pas, c'était dans son caractère. Elle tenait entre ses bras un petit paquet de tissus. Quelque chose bougeait dedans. Son cœur se mit à battre plus fort.
« Je ne t'ai jamais demandé, mais tu voulais un fils ou une fille ? » demanda t-elle en le regardant, ses yeux le défiant. Il soupira, il venait de passer la plus mauvaise nuit de sa vie et se sentait tout bonnement misérable « Du moment que l'enfant n'hérite pas de ton sale caractère, peu m'importe. » lâcha t-il. Les servantes le regardèrent d'un air choqué, mais Ellaria sourit « Bien, parce que c'est un garçon. Et étant donné que je l'ai porté neuf mois, c'est moi qui choisira son nom. Je suis en train d'y réfléchir. Tu n'as pas le choix. »  Un sourire étira les lèvres d'Achéron tandis qu'il s'asseyait au bord du lit pour observer cette minuscule chose à la peau mauve, au petits poings serrés. Un fils. Il avait un fils. Et cela lui fit peur.

BEHIND THE MIRROR Justine, 19 ans, étudiante en histoire. Vive les minions.