Vastes étendues de terres entre monts rocailleux et landes verdoyantes, le territoire d’Apple-Kingdom est incontestablement le plus considérable. Plus grand royaume d’Enarya, il n’a eu de cesse d’accumuler des paysages aussi différents des uns des autres au fil de ses multiples conquêtes.

Au nord, bordée par le Dwarfhame et ses nains, l’empreinte originale est teintée par l’émeraude de la Forêt aux Esprits qui entoure la capitale des capitales, Glasscity. Nombreuses sont les légendes nées dans ces bois, inspirées par les créatures – parfois magiques – qui se cachent de la barbarie des hommes. Ainsi est-il possible de discerner les quelques tréants, ces arbres ronchons mais attachants, qui jadis effrayèrent bien malgré eux une certaine Blanche-Neige. Si les animaux de la forêt préfèrent aujourd'hui se terrer dans le silence, cela ne fut pas toujours le cas. A ceux dont le cœur aurait été épargné par la noirceur de ces temps troublés, ils se révéleraient être des alliés d’une indéfectible loyauté. Mais la région compte également son lot de dangers, à l’image du redoutable prédateur de ces lieux : le grand méchant loup ; un être dont la férocité n’a d’égal que le tranchant de ses crocs ensanglantés.

Plus à l’est, par-delà les Montagnes Tristes et leurs terres inhospitalières, gisent d’immenses plaines. La fertilité de ces terres arables, irriguées par la sueur des hommes et les nombreux ruisseaux qui les arpentent, fournissait vivres et abris aux êtres qui parcouraient autrefois ces herbes. Désormais ouvertement chassés sous ordre royal, licornes, farfadets, singes ailés et autres yaoguai se font rares, à tel point qu'il ne reste d’eux que quelques mythes devenus contes, destinés à la naïveté de l’enfance. Il n'est pas bon d’être une créature surnaturelle dans ce royaume, et encore moins à la vue de tous.

Et au fur et à mesure que les Eaux de Lune deviennent la Mer Stérile, la terre ne devient que plus sablonneuse. Comme une ultime vengeance de la nature à l’encontre de la cruauté humaine, rien ne parvient à pousser. Terres bien moins désolées qu'abandonnées par la vie, ne vivent là que ceux qui y sont exilés. Ici-bas, toute féérie n’est plus. Âmes torturées, prisonnières, foulent le sol craquelé par l’impitoyable aridité, attendant avidement que leur fin misérable ne viennent les happer. Dans leurs râles d’agonie se complaisent les nez crochus des cadavériques sorcières, véritables propriétaires de cette vaste étendue aux reliefs inégaux. Geôlières des ennemis de la couronne, l’on frémit à la simple idée d’ouïr le strident rire de ses monstres vérolés.

Mais Apple-Kingdom ne saurait se réduire à ces seuls grands écosystèmes. Marais enchantés, forêts de bambous, monts rocailleux et jungles tropicales sont autant de régions atypiques qui composent l’incroyable diversité de cette partie du continent. Un véritable trésor qui souhaiterait pourtant échapper au regard de leur despotique souveraine. Au diable Elvira Beauregard, celle qui prétend tout voir, tout savoir.

Apple-Kingdom, royaume central qui accueille Glasscity la capitale des capitales. Chaque année se tient le haut conseil des Six Royaumes où les familles royales se réunissent pour mieux se déchirer sur les affaires politiques qui régissent Enarya. Si c'est là que se trouve Rivenoir, la superbe et majestueuse citadelle de la Reine des reines, la citée n'est pas seulement célèbre pour la cruauté de sa souveraine. C'est bien en ces lieux que déambulent chaque jour les marchands venus des quatre coins du continent. Tout élève Glasscity plus haut que n'importe quelle métropole : banque centrale, université réputée, avancées dans de nombreux domaines, gardienne de l'histoire des Sept Royaumes. À Apple-Kingdom, il faut sans cesse voir plus haut, plus grand, plus imposant et important que partout ailleurs car Evil Queen ne supporte pas de passer au second plan et n'accepte aucune concurrence, se lançant dans une lutte acharnée pour le pouvoir avec les autres territoires afin de conserver sa suprématie. Ainsi ne vous attendez pas à trouver ici un climat de paix et de sérénité, on vous réclamera sans cesse des efforts plus conséquents pour ne pas faillir à la réputation du Troisième Royaume.

Pourtant, se mélange candeur et terreur, car l'influence de la reine n'est pas seule maîtresse à bord. Beaucoup se souviennent des époques jadis prospères, insouciantes et de bonheur qu'avait apporté le règne de Blanche-Neige et qui s'est arrêté trop tôt. Un temps et une figure qu'on célèbre toujours, la population garde une mémoire intacte et glorifie joyeusement et de bien des façons cette félicité révolue. La ville de Kissingtown en est le parfait exemple, citée-musée retraçant l'histoire de Blanche-Neige, louant l'amour pure et sincère qui la liait au prince, peu de personnes ne tombent pas sous le charme incontestable de ces avenues gorgées de lumière colorées et de joie inébranlable. C'est également là-bas qu'est célébrée, avec le plus de hâte et d'attention, la Fête des Amoureux appelée plus communément dans tout le Troisième Royaume « Charming Ritual ». Jour férié tombant durant le solstice d'été et qui donne l'occasion aux couples de s'échanger mots doux, fleurs et chocolats, pure aubaine pour tous les commerçants du royaume !

Néanmoins il existe également des habitudes bien plus austères dans cette région, si attrayante par ses richesses et sa culture. Il est de notoriété publique que les forêts d'Apple-Kingdom sont infestées de loups terrifiants, ces bêtes immenses au pelage sombre, dévoreurs de chairs, leurs hurlements accompagneront vos nuits. C'est après les grandes chasses aux loups de 1289 que la couleur rouge fut interdite dans le Troisième Royaume, couleur malheureuse qui attire les prédateurs plus que tout autre chose. Ce pourquoi il ne faudra guère vous étonner de voir les habitants de ces contrées enterrer des bais sauvages à peine celles-ci apparues, mauvais présage qu'il vaut mieux tenir éloigné des maisonnées. Dans certaines communes bordant les bois, un rituel initiatique veut que les jeunes gens se mettent dos aux arbres, à la lisière de la forêt, élevés sur un piquet, guettant les sons avec la défense de regarder derrière leur épaule. C'est à celui qui tiendra le plus longtemps. De nouveaux records sont souvent établis car ce jeu est très courant chez les villageois, cette épreuve de bravoure qui marque le passage à l'âge adulte est devenue coutume.  

Des histoires à jamais marquées dans les pavés du Premier Royaume. C'était il y a bien longtemps, alors qu'une jeune femme à la peau blanche et laiteuse venait d'épouser la dynastie la plus respectée d'Enarya. Une habitude de coudre, une aiguille qui se planta vivement dans son index et qui laissa échapper trois malheureuses gouttes de sang qui vinrent s'incruster dans la neige hivernale. Un souhait qu'elle prononce de ses lippes rosées. Peu de temps après, elle mit au monde son seul et unique enfant, donnant la vie et le souffle à un être au détriment du sien qu'elle fit taire dans un dernier regard pour sa descendance. Le monarque ressentait ce vide qui le brisait de l'intérieur, l'âme en peine mais consolée par les traits et les dires de sa fille qu'il chérissait plus que tout au monde. Blanche-Neige, belle, époustouflante, un flocon éternel qui illuminait les couloirs du château, qui rendaient aux murs moroses leurs attraits chaleureux. Une tendre atmosphère, ce parfum sensible qui se dissipa dès lors qu'une nouvelle femme, au prénom d'Elvira, vint incruster ses traces dans le marbre de la Citadelle.

Après la mort de son père, Blanche-Neige fut chassée de la cité par sa belle-mère qui ne supportait pas la vue de la demoiselle considérée comme étant la plus belle et la plus attrayante du royaume. Ainsi, elle vécut dans les bois, traquée par le chasseur que la belle-mère, que l'on aime à appeler « Evil Queen » avait engagé, traversant l'épaisse forêt qui abritait toute sorte de créatures qu'elle n'avait aperçut que dans des ouvrages lorsque son père avait l'habitude de lui conter des histoires. Un destin qui semblait morose s'ouvrait à elle, une errance qui n'en terminait plus jusqu'au jour où elle croisa ces petits êtres aux grandes âmes charitables. Les nains l'hébergeaient, lui donnaient des directives pour sa propre sécurité. Mais curieuse et bonne enfant, elle ne put s'empêcher d'empoigner la serrure et d'ouvrir la porte à cette vieille femme lorsqu'elle l'entendit de l'autre côté de la porte en bois. C'est une pomme qu'elle lui tendit, brillante, rouge comme le sang, ce sang qui la maintenait en vie. Cette ironie du sort quand elle croqua dedans et que ses membres se raidirent avant de la laisser tomber sur le plancher, l'esprit sans vie, à devoir vivre dans un sommeil éternel.

C'était dans des acclamations, dans des hurlements de joie et de satisfaction que la population environnante d'Apple-Kingdom criait à plein poumon. Un bonheur qu'ils ne pouvaient pas dissimuler, certains laissaient échapper leurs larmes de leurs prunelles, tandis que d'autres essayaient tant bien que mal de retenir ces émotions qui les submergeaient. Ils essuyaient les joues des autres de plusieurs revers de l'index, riaient de bon cœur alors que les corbeaux noirs prenaient leur envol vers d'autres contrées inhabitées ou inexploitées. C'était une femme à la chevelure sombre qui se dressait sur le balcon principal de la Citadelle, le dos droit et le menton rabaissé vers le peuple qu'elle surplombait. On pouvait percevoir quelques mots prononcés par les citoyens, des mains levées et tendues vers la nouvelle figure d'autorité. « Long live the Queen ! » que l'on entendait vivement, entremêlé à des « Blanche-Neige ! » répétés inlassablement. A ses côtés, cet homme, le Prince, que l'on ne cessait d'analyser de la tête au pied, essayant d'en discerner les moindres détails car chacun d'entre eux apportait cette beauté trouvée nulle part ailleurs. C'est lui, qui avait mis fin au sommeil de la reine grâce au baiser du Véritable Amour. Blanche-Neige esquissait ce sourire réconfortant sur son faciès, arborait cette posture qui ne montrait aucune condescendance. Elle aimait le peuple et ce dernier lui rendait cet amour sous la forme d'une allégeance inébranlable.

Une allégeance qui ne se serait jamais essoufflée aussi promptement si les choses n'avaient pas été précipitées. Elle s'assit sur le trône durant huit ans, dirigeant d'une main de fer le royaume dans lequel elle vivait, dirigeant par la compassion et la tolérance, le respect et la diplomatie. Elle était adulée, elle était vénérée pour ses capacités à apporter la douceur dans les contrées, à enivrer les allées d'une sérénité par sa simple présence. Elle n'avait pas peur de rejoindre le bas peuple afin qu'il n'ait pas besoin de pencher le cou en arrière pour l'observer sur son balcon. Elle était reconnaissante, elle était humble et savait qu'elle devait remercier chaque citoyen pour le pouvoir qui lui était donné. Cependant, sept ans après le début de son règne, le prince fut supprimé de la toile, ne laissant qu'au peuple cette figure douce et fragile, n'inspirant aucune crainte et aucune terreur. Si Blanche-Neige aurait pu gouverner et reprendre le trône à l'image de son mari, avec un peu plus de fermeté, ses choix furent non pas sans impacts : l'amour qu'elle portait pour son bien-aimé défunt était trop grand pour être oublié, trop grand pour que son cœur puisse cicatriser et accepter le départ de Florian. Elle perdait pied, mais elle se ressaisissait quand elle pouvait apercevoir les yeux du peuple la regarder et surtout, la soutenir. Néanmoins, alors qu'elle n'avait vécu une existence que de vingt-cinq années, c'est un périple écourté par la Mort elle-même qui mit fin aux jours de Blanche-Neige en 1208. Et plus jamais elle ne se réveilla. Plus jamais elle n'eut la chance de dessiner le sourire qui apaisait les essences. Et derrière cet événement, des interrogations intriguées et suspicieuses glissaient sur les murs du Premier Royaume et des autres contrées. Pourquoi ? Comment ? Des questions qui restent encore aujourd'hui sans réponse, des spéculations qui continuent de vivre.

Esprits torturés dès l'année suivante lorsque la renommée Evil Queen, ou bien l'Empoisonneuse, comme on se plaît à la surnommer désormais, s'empara du pouvoir sans aucun scrupule. Une belle-mère jubilant de la mort de sa belle-fille autrefois Reine. Dorénavant, ce sont les corps inanimés qui s'accumulent sur la place principale, appelée la Place du Bourreau, les prunelles sans vie capturant les regards désorientés de chacun. Si Elvira est connue pour ce désir excessif de puissance, elle a bel et bien prouvé qu'elle pouvait satisfaire cette mégalomanie : un peu plus d'un siècle plus tard, c'est sa puissance qui s'écrase sur la population de Midnight-Haven et ses dirigeants. Ces derniers, contraints de s'opposer à la menace et la domination terrifiante d'une reine indétrônable, finirent par abandonner leur terre et guidèrent leurs pas vers le Deuxième Royaume. Aujourd'hui encore, le règne de la défunte Blanche-Neige reste enracinée dans l'Histoire, si bien qu'un musée à Kissingtown retrace les faits de la plus belle reine de tous les royaumes. « Partie, mais à jamais ancrée en nous. » soufflent encore les voix envieuses mais discrètes, qui auraient aimé vivre durant cette placide décennie, regrettant de devoir exister sous une autorité stricte et étroite qui ne leur permet pas l'épanouissement recherché.

La royauté d’Apple-Kingdom ne fut pas toujours ainsi. Loin d’être déméritée, la bonté naturelle des Beauregard transcendaient jadis les frontières des différentes contrées. Réputés d’une douceur et d’une bienveillance légendaires, ceux-ci gouvernaient leurs sujets avec respect et amour, celui-même q'ils estimaient comme élément fondamental en toute chose. Monarques aux cœurs d’or, leur histoire connut un sombre tournant à l’aube du XIIIème siècle. Victime d’un destin tragique, la reine succomba mystérieusement, quelques temps seulement après avoir donné naissance à celle que l’on nomme Blanche-Neige. Le roi, profondément affecté par la perte de sa bien-aimée, finit cependant par saisir la deuxième chance que lui offrait le destin en la personne d’Elvira. Mais celle-ci cachait, derrière sa beauté ensorcelante, une cruelle ambition qui n’avait d’égale qu'une jalousie corrosive ; ombrage qui atteint son paroxysme au couronnement de Blanche-Neige.

L’on ne pouvait plus compter les déclamations d’amour publiques à son encontre, ni même les quantités incroyables poèmes qui vantaient le charme de la blancheur de sa peau si semblable à la neige. Or, le sort décida de frapper à nouveau, plongeant la nation toute entière dans le douloureux chagrin du deuil tandis qu'Elvira arborait la couronne de la victoire. Nous étions alors en 1209.

Depuis lors, pas même le temps ne put mettre fin à son règne. Pour celle qui venait d’accéder à la plus haute fonction du continent, rien n’était jamais assez. De tels caprices entre les mains crochues d’une puissante sorcière n’étaient guère de bon augure. Ses prunelles d’un bleu électrique parcouraient frénétiquement la carte d’Enarya, dévisageant les nombreux ennemis toujours plus nombreux qui campent à ses frontières. En première ligne, c’est le Val de Joly qui se dresse contre sa suprématie, invoquant les notions d'amour et de la paix sur les méfaits de sa malfaisance. Une idéologie qu'Elvira qualifie ouvertement de « niaiseries romantiques pour pucelles idéalistes ».

Néanmoins, les Montrose sont loin d’être ses seuls opposants. Déterminer l’origine de telles tensions n’est pas si aisé, mais il est fort à parier que les Grandes Guerres d’Enarya n’y sont pas pour rien. La virulente lutte pour des territoires fit couler beaucoup de sang, de part et d’autre. Un coût humain dont Evil Queen n’eut jamais cure. Agrandir son empire, étendre sa volonté suprême jusqu’aux confins de ce monde, tels étaient ses désirs les plus chers. Une avarice grandissante qui la poussa, en 1363 à commettre l’impensable : l’annexion du royaume de Midnight-Haven.

Si les tensions à l’intérieur de pays parvenaient autrefois à être étouffées par la fermeté de sa poigne, l’équilibre menace désormais de s’effondrer. Entre ceux qui souhaitent le retour des déchus Ashcroft, les éternels fidèles à la reine – par peur ou par conviction – et les quelques autres qui l’accusent silencieusement d’avoir empoisonné Blanche-Neige, Apple-Kingdom s’approche chaque jour un peu plus de l’implosion. Une éventualité qui ne peut en être une pour l’Empoisonneuse. Serait-ce le glas de son règne qui résonne au loin ?

« Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ? »