◊ Que pensez-vous de la reine actuellement au pouvoir qui détient le contrôle de la capitale, Glasscity? Que vous évoque son arrivée sur le trône? Croyez-vous les mauvaises langues qui suggèrent qu'elle aurait usurpé la défunte reine Blanche-Neige?
Lorsque l’on a pour résidence le palais des mirages, on a forcément quelques avantages. Elevée dans le harem, éduquée et instruite grâce à la bienséance et à l’enseignement reçue dès mon plus jeune âge, je sais pertinemment qui est Evil Queen. Mais si vous voulez mon avis, je m’en contrefiche. Royalement. Elle contrôle la capitale. Soit. Mais elle n’a aucune autorité à Umm Ash-Shams. Toutefois, je n’apprécie pas sa manière de régner. J’ai beau regretter de temps à autre d’avoir eu une vie imposée et non choisie. Mais je me réjouis que les souverains du palais des mirages ne lui ressemblent pas. Beaucoup plus cléments. Beaucoup plus courtois. Beaucoup plus bienveillants. En ce qui concerne l’usurpation du trône, je n’ai pas tellement d’avis sur la question. Je n’ai malheureusement jamais voyagé au-delà des frontières des dunes de sable. Tout ce que je sais, je le dois aux livres et aux commérages entre marchands. Je pense, au fond de moi, qu’elle est un imposteur. Une terrible menteuse perfide, hypocrite et fourbe.  Une mystificatrice en somme.

◊ On dit qu'une révolte se prépare en silence contre la reine d'Apple-Kingdom, avez-vous eu vent de la rumeur? Quelle est votre opinion là-dessus? De quel côté pencherez-vous?
Grâce aux nombreuses lettres que m’envoie régulièrement ma tendre amie Noë – une amie originaire de Northcrown – j’ai eu effectivement vent de cette rumeur. M’enfin quoi qu’il en soit, cela reste un écho, un murmure crée sûrement dans l’unique but d’envenimer la situation actuelle. Peut-être l’ai-je également entendu de la part d’un des commerçants au marché mais ce n’est pas véritablement le sujet principal. Je m’inquiète davantage des évènements à Umm Ash-Shams. Le reste n’est que secondaire. Je ne penche donc pour aucun côté. J’ai déjà fort à faire dans mon pays natal. Comme éviter de se faire tuer. C’est un exemple parmi tant d’autres. Ou bien, ne commettre aucune erreur, ne pas attirer l’attention sur ma personne. Je suis sur un siège éjectable. Un seul faux pas. Une seule faiblesse. Une seule fredaine. Et je serais condamnée à mort.

◊ Comment considérez-vous votre famille suzeraine? Est-elle bonne pour le pays selon vous? Entretenez-vous une relation spéciale avec ses membres?
Je serais tentée de dire qu’elle fut une seconde chance. Une seconde vie. J’ai pu échapper à la pauvreté, à la modicité et à la médiocrité uniquement grâce à l’intervention du sultan. Au moment même où son regard s’était posé sur celui de ma mère, il avait pris sa décision. Elle rejoindrait son harem dès aujourd’hui. Quant à sa fille, elle était libre de vivre au palais et pourrait ainsi suivre les traces de sa génitrice. Et devenir ainsi la favorite de son fils ainé, Amir. Telle avait été mon destin alors que je venais d’avoir un an. Je ne connais pas les autres membres de la famille. Sauf une exception. Rais Al-Naaqa. Le simple fait de penser à lui m’emplit de tristesse, de souffrance, de chagrin... Un serrement au cœur. Un désenchantement. Une amertume. Une calamité. Une rencontre lointaine. Une rencontre qui bouleversa profondément mon quotidien. Une rencontre qui n’était pas le fruit du hasard. J’en restais convaincue. Je vagabondais dans les couloirs du palais, âgée de cinq ans. Insouciante et curieuse, j’aimais découvrir ou même redécouvrir certains endroits. Jusqu’à ce que je le percute. Il m’avait aidé à me relever. Je n’étais rien. Il était un prince. Il se sentait seul m’avait-il confié ce soir-là. Une proposition banale, il voulait jouer avec moi. Et j’avais accepté. Cette soirée avait été des plus merveilleuses. Une soirée inoubliable, qui m’avait marqué au plus profond de mon cœur. Nous vous revîmes le lendemain, et le surlendemain. Ainsi de suite, et ce pendant trois belles années. « Tu veux monter sur mon tapis volant » m’avait-il proposé alors que cela faisait à peine quelques semaines que nous nous connaissions. Au début septique et hésitante, il m’avait suffi de croiser son regard de braise avant d’accepter. Je tombais amoureuse de Raïs à partir de cette soirée exaltante et terriblement romantique. Je n’avais d’yeux que pour sa personne. Il n’était question que de lui désormais. Mais je ne vivais pas un conte de fée. Tout bonne chose a une fin, n’est-ce pas ? Alors que huit années d’aventures et d’optimisme venaient de s’écouler, alors que je m’apprêtais à rejoindre celui pour lequel mon cœur battait à tout rompre, ma mère, devenue l’une des plus belles femmes du harem, m’avait arrêté. Il n’était plus question de sortir désormais. Plus question de revoir le prince d’Orient. Je devais intégrer l’école du harem. Je devais être prête et formée à devenir une parfaite concubine. Les larmes aux yeux, j’avais refusé. Je ne voulais pas de cette vie. Je voulais sortir, vagabonder et vivre ma vie comme je l’entendais. Ma mère fit voler en éclat tout espoir, tous mes rêves en une seule soirée. Si je désirais revoir mon prince, je devais faire ce que l’on me dictait. Je devais être obéissante, docile. Plus question d’être impulsive, intrépide ou bien même farouche. Quand je sortirais du harem, je deviendrais une femme idéale pour lui. Ce fut l’une de mes principales motivations alors que j’entamais mon éducation. Je me réveillais le matin dans l’unique but de pouvoir un jour le retrouver, lui avouer mes sentiments, et peut-être partager son lit. Peut-être partager son cœur. Peut-être partager sa vie. Dix- huit années à me comporter comme une parfaite concubine. Il me restait plus qu’une année. Mon excitation et mon effervescence disparurent d’un seul coup. Tandis que j’étais en train de lire un livre, je pouvais clairement entendre des chuchotements. Mes rivales s’étaient lancées sur un sujet qui visiblement les rendait instables. Incapables de tenir en place. Habituellement, je ne leur prêtais pas attention. Jusqu’à ce que le prénom Raïs me vint aux oreilles. Je m’étais immobilisée. Mon cœur venait de manquer un battement. Avais-je bien entendu ? Venait-elle de sous-entendre que le troisième fils du sultan était devenu un libertin, un coureur de jupons ? J’étais horripilée mais je ne voulais pas y croire. Elles devaient mentir. Comme d’habitude. Je voulais en avoir le cœur net. Je m’étais échappée du harem, courant le plus vite possible vers ses appartements. Mon cœur se brisa en mille morceaux. Les rumeurs étaient bel et bien fondées. Non seulement, je l’avais aperçu dans les bras d’une autre. Mais en plus de ça, il ne m’avait pas reconnu. Une étrangère. Une inconnue. Voilà ce que j’étais devenue à ses yeux. Une simple et vulgaire soumise. Le changement fut radical. Je venais de rayer son existence de ma vie. Je ne supportais plus qu’on évoque son nom devant moi. Raïs n’était devenu qu’une simple page, page que j’avais littéralement déchiré de mon livre, de mon cœur, de ma vie.

◊ De quelle façon pourriez-vous décrire le royaume où vous résidez? La vie y est-elle plutôt tranquille, facile? Ou vivez-vous dans une galère de tous les jours que vous aimeriez quitter pour le faste d'un palais ou la beauté d'une autre contrée?
Immense et grandiose. Bienveillant et accueillant. Phallocrate et sexiste. Le Ying et le Yang caractérise parfaitement le royaume du sable. A la fois très gracieux mais également très misogyne. J’affectionne énormément mon pays de naissance. Je pense qu’il n’est pas comparable à bien d’autres royaumes. Mais là encore, je m’avance peut-être. Je désire franchir ces murs pour être capable de voir de mes propres yeux ce qu’il en est à l’extérieur, par-delà nos frontières. Suis-je en droit de dire que je vis dans une galère de tous les jours ? Alors, certes je vis au sein même du palais. Je suis logée, je suis nourrie. J’ai été éduquée et instruit. Mais je n’ai pas choisi cette vie. Une vie qui comporte tellement d’interdictions et de contraintes. Où je suis obligée d'obéir à l’homme que j’ai aimé. Où je suis obligée de servir son frère ainé. Où je suis obligée d’avoir une conduite irréprochable si je ne veux pas rejoindre la potence. Le harem est un lieu cruel, intolérable où le moindre faux pas est derechef réprimandé. Chaque jour, je risque de perdre cette étincelle qui me caractérise terriblement bien, on me le rappelle constamment. La situation de ma mère, voilà ce qui me garde en vie à l’heure actuelle. Ce n’est pas une façon de vivre. Loin de là. Je souhaite être libre d’agir comme bon me semble, d’aller voir qui je veux, et quand je veux. Et surtout, j’ambitionne de ne plus jamais être reléguée en bas de l’échelle sociale juste parce que je suis née en tant que femme.

◊ Quelle est votre opinion sur la magie? Pensez-vous qu'elle soit bénéfique? Ou au contraire qu'il s'agisse d'une oeuvre diabolique et qu'il faille organiser une chasse à la sorcière dans tous les royaumes?
Aventureuse et rêveuse dans l’âme, j’ai par de nombreuses fois entendu des propos à l’égard de la magie. Parce qu’évidemment, à Umm Ash-Shams, nous ne sommes pas des magiciens. Seuls les tapis volants en sont pourvus. Et c’est fort dommage, croyez moi. Je donnerais n’importe quoi pour être capable de lancer des sorts, de changer ma destinée et de sauver ma génitrice des mains du sultan. Une chasse à la sorcière serait pure folie. Une catastrophique. Un cataclysme. Comme Noë me l’a si souvent dit, la magie fait partie intégrante de son pays, parait-il que ses souverains seraient capables de contrôler la glace. Incroyable. Démentiel. Si, nous les femmes, nous possédions ne serait-ce qu’une infime part de magie, nous pourrions changer le cours des choses, équilibrer la balance entre les hommes et les femmes. Etre en possession d’un tapis m’est impossible – comme par hasard seuls les membres royaux peuvent en acquérir parce qu’ils sont très rares. Mais il me reste encore une autre possibilité. Je n’ai même quasiment aucune chance mais je continue d’espérer. Une lampe. Voilà ce qu’il me faudrait. 3 vœux et ma vie ne serait plus jamais la même.